L’histoire d’un verre qui sent bon les vacances : «Quand on ouvre la bouche, c’est pour boire un pastis ou pour dire une vérité», affirmait l’écrivain et cinéaste Marcel Pagnol.
Imaginez une terrasse ensoleillée, des cigales qui chantent et une partie de pétanque improvisée… Sur la table, un verre jaune pâle qui s’éclaire dès qu’on y ajoute un trait d’eau fraîche. Voilà, vous y êtes : le pastis.
Bien plus qu’un simple apéritif, il est devenu le symbole de l’été et des vacances à la française. Mais d’où vient ce “pastaga” qui fleure bon la Provence ? « Quelques fois en hiver je demande un pastis en apéro juste pour retourner en été. »
« Qu’est-ce qui est jaune et qu’on attend ? Le pastis ! »
Quand l’absinthe tire sa révérence
Avant le pastis, c’était l’absinthe qui régnait sur les tables françaises. Appréciée pour son goût anisé, elle fut interdite en 1915, accusée de rendre fou – Rimbaud, entre autres, en fit les frais. Mais les Français, attachés à leurs habitudes, n’abandonnèrent pas les boissons anisées. Dès 1920, le gouvernement autorisa la production de spiritueux anisés jusqu’à 30° d’alcool, et la tradition se concentra notamment autour de Marseille, où le mélange d’anis, de badiane et d’herbes aromatiques avec de l’eau fraîche devint un rituel d’apéritif.
« Pastis : l’eau bénite des Marseillais. »
Le coup de génie de Paul Ricard
C’est dans ce contexte qu’un jeune Marseillais, Paul Ricard, se lance. Fils d’un négociant en vin, il veut réinventer l’apéritif anisé et échapper à la mauvaise réputation de l’absinthe. En 1932, après des heures passées à tester différentes recettes dans son laboratoire de fortune et à dessiner lui-même l’étiquette de sa bouteille, il lance le Ricard, le premier pastis officiel. Il invente le mot “pastis”, du provençal pastisson et de l’italien pasticchio, signifiant « mélange », un nom parfait pour ce spiritueux convivial et local. L’ajout de réglisse apporte douceur et couleur dorée, et Ricard associe son produit au soleil, à la mer et aux vacances, faisant du pastis un symbole de l’art de vivre méridional.
Les origines : des plantes et des savoir-faire ancestraux
Ce spiritueux est né d’un héritage ancestral. Depuis le XIXᵉ siècle, les habitants de la Haute-Provence, entre Alpes et Méditerranée, utilisent les plantes anisées – fenouil, anis vert, badiane – pour préparer des apéritifs et des potions médicinales. La région regorge de variétés végétales et bénéficie d’un climat idéal : air pur, nuits fraîches et soleil généreux, favorisant des arômes puissants. Avant l’interdiction de l’absinthe, les distilleries locales produisaient déjà des boissons anisées ; après 1924, elles enrichissent leurs recettes avec les herbes locales, préfigurant le pastis.
« Pastis : l’élixir des dieux du sud. »
Le pastis à travers le temps
Malgré le succès initial, il fut interdit à nouveau par le régime de Vichy en 1940, avant d’être réautorisé en 1951. Paul Ricard sut transformer cette boisson en icône grâce à un marketing audacieux : caravanes publicitaires, Tour de France et même acquisition d’îles comme Bendor et les Embiez et devient alors un symbole du Sud, de l’apéro au soleil et des congés payés.
Aujourd’hui, le pastis continue de se réinventer. Des artisans à Marseille renouent avec les plantes locales pour créer des versions originales, tout en restant fidèles à la tradition. Une boisson qui reste avant tout du partage, un mélange bigarré qui évoque le Sud et les vacances.
« Le pastis, c’est la tradition en verre. »
Le phénomène de biais sensoriel
Il illustre l’interaction complexe entre perception sensorielle, mémoire et émotion. La saveur perçue résulte de la combinaison du goût, de l’odorat, de la vision et du toucher.
Le phénomène de biais sensoriel montre que l’attente influence la sensation : au soleil, il paraît plus frais. La mémoire affective renforce cette expérience : la boisson est associée à l’été, aux vacances et à la convivialité. Ainsi, la consommation réactive des souvenirs positifs et module la perception gustative.
Les états émotionnels interviennent également : détente et bonheur accentuent la saveur, stress et tristesse l’atténuent. Le contexte environnemental, ambiance, lieu, climat, transforme directement l’expérience gustative.
Un même pastis n’a pas le même goût en terrasse méditerranéenne ou en intérieur hivernal. Ces observations confirment l’importance des dimensions psychologiques dans la dégustation. Cette boisson constitue ainsi un modèle pertinent pour étudier la psychologie du goût.
« Le pastis, c’est comme les seins. Un, c’est pas assez, et trois, c’est trop. » – Fernandel
Comment fabrique-t-on le pastis ?
Derrière ce verre se cache un savoir-faire précis :
Base alcoolique : alcool neutre (betterave ou céréales).
Aromatisation : macération ou distillation d’anis étoilé, d’anis vert, de fenouil et d’herbes méditerranéennes.
La touche de réglisse : apporte douceur, note boisée et couleur jaune naturelle (chalcones).
Assemblage et mise en bouteille : filtration, ajout d’eau pure et un peu de sucre.
Résultat : un spiritueux clair à 40°, qui se trouble en lait lorsqu’on y verse de l’eau, révélant toutes les saveurs anisées.
« En hiver, il m’arrive de commander un pastis, juste pour retrouver l’été. »
Pourquoi le pastis est-il jaune ?
Contrairement aux autres spiritueux anisés, le pastis doit sa couleur dorée à la réglisse, dont les pigments naturels, les chalcones, lui confèrent cette teinte solaire. Le fameux « louche », ce phénomène de trouble au contact de l’eau, n’est pas seulement esthétique : il libère le bouquet aromatique et fait partie du plaisir de le déguster.
« Mon groupe sanguin, c’est O+Pastis. »
Le goût des vacances
Au-delà de l’histoire et du savoir-faire, le pastis incarne une atmosphère. Il évoque la Provence, la chaleur, les soirées entre amis et les conversations qui s’éternisent. On le boit doucement, à l’ombre d’un parasol, accompagné d’olives et de rires. En un mot : le pastis, c’est l’essence des vacances françaises dans un verre.
Ne buvez pas au volant. Consommez avec modération.