Un des mythes les plus répandus du monde de la mixologie reste encore que la prohibition fut un âge d’or du cocktail. Puisque les alcools servis dans les speakeasies étaient de mauvaise qualité, entend-on, il convenait de les mélanger avec des jus et du sucre pour masquer leur goût. C’est complètement faux. Et, de fait, pratiquement tous les cocktails dits ‘de la prohibition’ ont été inventés soit avant soit en dehors des Etats-Unis (en France et au Royaume-Uni en particulier).

Que buvait-on donc dans les établissements clandestins ? Dans les speakeasies de luxe, qui tenaient plus du club exclusif, on consommait surtout du champagne, souvent importé en contrebande, parfois élaboré clandestinement aux Etats-Unis, ou du whisky soda. Dans les pires speakeasies, du gin faits dans la baignoire, de la bière sans alcool rallongée avec un distillat neutre voire de l’alcool industriel coupé à l’eau. Entre ces deux extrêmes, une variété remarquable de spiritueux de provenance douteuse ou de bière artisanale de mauvaise qualité. Peu de cocktails, finalement : une marchandise illégale se vend rapidement et risque d’être saisie à tout instant. Le cocktail, c’est du temps et de l’argent que les tenanciers n’avaient aucune raison d’avancer.

C’est ainsi qu’au contraire de ce qu’on lit encore parfois, la prohibition fut une période terrible : la profession de bartender disparut des Etats-Unis et les connaissances accumulées durant plus d’un siècle ne furent pas transmises. L’art du mélange n’était guère plus pratiqué qu’à domicile avec des produits souvent vieux par des amateurs pas toujours éclairés. Dans son Official Mixer’s Guide, un des premiers livres de cocktail d’après la prohibition, Patrick Gavin Duffy est catégorique : pendant la prohibition, on buvait très mal, et les cocktails inventés ne valent rien. Une petite étoile d’avertissement accompagnait ces créations étranges où se mélangeaient souvent de nombreux alcools. Aucun de ces cocktails n’est connu aujourd’hui, et c’est très bien comme ça.

 

Ne buvez pas au volant. Consommez avec modération.

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