Dans cette édition du B.à.-ba des spiritueux d’Alexandre Vingtier, nous vous présentons J comme « Japanese Whiskey ». Lisez l’histoire ci-dessous.

Je me souviendrai toute ma vie de la première fois que j’ai dégusté un whisky japonais, fin 2005 : un Yoichi 1989, qui n’avait rien à envier aux plus grands whiskies écossais et qui était absolument épatant sur un haggis ce soir-là. C’est l’un des whiskies qui m’ont amené à me passionner et à devenir dégustateur professionnel. Peu de temps après, nous sélectionnions les futurs single casks de Yoichi, Miyagikyo et Coffey Grain de Nikka, ainsi que le premier fût de Suntory destiné à l’export, un Yamazaki 1986 vieilli 20 ans en fût de mizunara, le chêne japonais alors inconnu des palais maltés. C’est à partir de 2006 que le whisky japonais a connu une accélération sans égales de ses ventes. Le whisky japonais regorge alors de trésors et nous n’étions qu’une poignée à nous y intéresser.

 

L’engouement et l’essor du whisky japonais

Aujourd’hui, c’est tout l’inverse : l’engouement est total mais rares sont les whiskies japonais portant une mention d’âge et encore moins un millésime, et la plupart des nouveautés ont perdu le côté fauve de leurs prédécesseurs, pour devenir des pastels ou des aquarelles, certes fort bien assemblés, mais moins passionnantes. Il faut aller au Japon pour pouvoir se sustenter d’un verre de Yoichi single cask ou pouvoir acheter une édition spéciale de Suntory de temps à autre. Mais pourquoi la marée est-elle aussi basse ?

La montée en gamme des whiskies japonais dans les années 1980 doit être comprise comme une solution de survie pour une industrie en décroissance : la population locale commence à bouder la production nationale pour se tourner vers le cognac et le scotch. Tant et si bien que la consommation va être divisée par trois en un quart de siècle. Les Japonais sont alors heureux d’exporter leurs grandes cuvées, caressant l’espoir de redorer leur blason sur le marché local grâce à une reconnaissance internationale. Après avoir touché le fond, le whisky japonais rafle presque tous les médailles. Il séduit les palais européens et redevient populaire localement avec la modernisation du highball (whisky, glace, soda)… et les producteurs cherchent alors à se lancer en Amérique. Pas étonnant alors que l’oasis européenne se tarisse aussi vite. Personne n’était préparé à une telle explosion.

 

Le Blend au Japon

Il faut savoir que, de longue date, les Japonais ont importé des whiskies écossais pour réaliser leurs assemblages et certains ont même acquis des distilleries écossaises : Bowmore, Auchentoshan et Glen Garioch par Suntory bien avant le rachat du groupe Beam, Ben Nevis par Nikka ou encore Tomatin par Takara. Néanmoins, l’envolée des volumes et des prix a encouragé certaines pratiques plutôt déconcertantes. Par exemple, on commercialise depuis quelques années, pour l’export, des whiskies contenant parfois moins de 10% de whisky japonais. Ces derniers sont coupés avec des whiskies écossais ou canadiens à bas prix.

L’assemblage au Japon et la valeur du whisky japonais lui-même permettent de créer une forte valeur ajoutée. Et donc d’inscrire la mention « product of Japan » si prisée des consommateurs. Certains vont même plus loin dorénavant, en vieillissant du whisky importé déjà très âgé quelques années au Japon… L’image du whisky japonais pourrait être durement affectée par ces pratiques douteuses. Mais, même si les stocks ont été durement impactés, les grands producteurs japonais ont réagi. Et investi dans l’extension de leurs distilleries. Ils remplissent leurs chais et éliminent peu à peu les références contenant des whiskies importés.

Heureusement, avec la mise en place des premières Indications Géographiques japonaises en 2015 pour le saké et le shochu, et sachant que le whisky est éligible, nous devrions voir apparaître dans les prochaines années une protection équivalente à celles des Irish whiskey et Scotch whisky. En attendant, Suntory met fièrement en avant la mention « made in Japan » sur ses étales…

 

Ne buvez pas au volant. Consommez avec modération.

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