jean-sébastien robicquet - MAISON VILLEVERT - Distillateur / Maître parfumeur / Créateur de spiritueux

Jean-Sébastien Robicquet : « sans le nez et le parfum, il n’y a pas de création »

Illustration : Polpo-agency.com

Entretien avec Jean-Sébastien Robicquet, président fondateur de Maison Villevert, un créateur de spiritueux motivé par les senteurs et les émotions gustatives.

Un artiste contemporain sensible à l’air du temps

Jacques Cavallier-Belletrud, maître parfumeur de la Maison Louis Vuitton a dit : « L’art de maîtriser les proportions dans la formulation d’un parfum est un défi philosophique et technique pour que la magie opère ». Est-ce la même règle lorsque l’on compose un spiritueux ?

Jean-Sébastien Robicquet exprime sa passion en tant que distillateur et créateur de spiritueux, mais aussi en tant que maître parfumeur. Toujours avec le parfum comme fil conducteur, il explique comment, à la Maison Villevert, les émotions vont de pair avec la création de spiritueux, car leur enjeu, leur mission, est bien celui-ci : créer des émotions.

 

Spirits Hunters : Lorsque vous créez un spiritueux, comment évaluez-vous sa future structure ? Au goût, au nez, à l’expérience gustative ?

Jean-Sébastien Robicquet : Je viens du monde du vin. Dès que je me suis intéressé aux spiritueux, j’ai essayé d’y investir mes racines, mes origines et mes valeurs le tout venant de la culture du vin. Le premier élément d’un vin, c’est le parfum, le nez. C’est la même chose pour les spiritueux.

Les œnologues parlent aussi d’amertume, de sucré, de salé, d’acide, d’astringence. Mais sans le nez et le parfum, il n’y a pas de création. Les senteurs, les émotions gustatives, sont les plus importantes quand j’invente un spiritueux.

Il faut également que ce spiritueux ait du sens ou une raison d’être par sa matière première, son origine et les expériences nouvelles qu’il procure.

Mon analyse, depuis plus de vingt ans, c’est qu’à l’image du monde du vin, les consommateurs vont inévitablement de plus en plus vers une consommation qualitative et non quantitative. C’est la raison pour laquelle nous cherchons, chaque fois, à réaliser le meilleur spiritueux possible.

 

Spirits Hunters : Comment avez-vous développé votre nez ?

Jean-Sébastien Robicquet : Il suffit de mettre ses sens en éveil et ses repères en place et ce, pendant cinq ou dix ans d’apprentissage. Puis, il faut rester attentif, tout au long de la vie, aux goûts, aux senteurs, aux saveurs donc aux fruits, aux légumes, à la nourriture.

Le parfum de Patrick Süskind est l’un de mes livres de chevet, c’est tellement beau en termes de description d’arômes et d’émotions !

Créer des spiritueux, c’est créer des émotions, voilà notre enjeu, notre mission. Donc, oui, toute mon activité est structurée autour du parfum. D’ailleurs, la plupart de mes dégustations ne se font pas en buvant, mais simplement au nez.

Photo : Jean-Sébastien Robicquet, directeur et fondateur Maison Villevert – photo courtoisie Maison Villevert

 

Spirits Hunters : Le recrachage est-il nécessaire à la dégustation ?

Jean-Sébastien Robicquet : C’est une phase de la dégustation. Mais si vous goûtez et recrachez sans solliciter votre nez, il n’y aura pas d’odeurs et donc, pas de goût.

Recracher le vin ou spiritueux dégusté est utile pour pouvoir évaluer en pleine conscience (i.e., sans s’alcooliser) mais c’est aussi une phase importante car une fois le liquide recraché il faut expirer par le nez pour souvent obtenir une nouvelle palette d’odeur que l’on qualifie d’odeurs rétronasales.

 

Spirits Hunters : A quoi avez-vous pensé lorsque vous avez créé G’Vine ?

Jean-Sébastien Robicquet : C’est tout un processus d’élaboration. La première chose que je cherche à définir dans la conception d’un produit, c’est l’émotion olfactive que je veux créer. C’est déterminant.

Comment les éléments qui composent G’Vine, gin de France et troisième gin ultra-premium au monde désormais, présent dans soixante pays … vont-ils s’inscrire dans le monde d’aujourd’hui ? Quel est l’élément que je veux mettre en avant ?

Ensuite vient l’analyse de l’existant afin de créer un point de différenciation. Ce sont ces deux forces, créativité et démarcation, qui m’ont fait entrer au Hall of Fame, pour ma contribution au monde du gin, étant le seul Français ainsi honoré par Gin Magazine.

En ce qui me concerne, quand je prépare ces dégustations qui sont essentiellement olfactives, je reprends mes habitudes du monde du vin : je réduis le produit en phase de création à 20° d’alcool, pour ne pas ressentir la force de l’alcool à 40° et me concentrer sur les arômes et les parfums.

G’vine, avec Cîroc ont été le point de départ de ma vocation et de celle de Maison Villevert ; Créer des expériences nouvelles avec des produits d’exception !

 

Les étapes du gin

Dans l’histoire moderne récente du gin il y a eu quatre étapes.

80-90’s : avec la création du Bombay Sapphire, cet univers a commencé à se premiumiser avec des gins à 15-19 $ la bouteille.

Fin 90’s : la famille William Grant lance Hendricks. Arômes funky, notamment de concombre. Là clairement, le produit s’affranchit du London Dry. La bouteille passe à 30 $.

2006 : je décide de faire un gin totalement français à 40°, extrêmement floral, à base de raisin et de fleur de vigne : G’Vine. Nouvelle rupture et toujours avec un prix premium.

2010-2011 : les portes s’ouvrent en grand : apparaissent Nordés et Puerto de Indias en Espagne, Sipsmith à Londres… Quand j’ai commencé on comptait 700 gins. Aujourd’hui il en existe plus de 7000.

Toutes ces créations ont montré qu’il est possible de faire des choses différentes. G’Vine a même pris le leadership en Espagne, pourtant pays de référence pour la consommation de gin, parce qu’il a apporté quelque chose d’élégant et de différent.

Et certains, peut-être en Espagne, ont poussé un peu trop loin la proposition d’onctuosité, de note florale, voire le côté régressif, comme pour Nordés ou Puerto de Indias.

L’aspect aromatique et olfactif est devenu central et c’est ce que nos spiritueux doivent au monde du vin, au-delà même de ma passion première pour Süskind et le parfum.

Photo : Le Parfumeur Royal* – photo courtoisie Maison Villevert

La « Collection Maison Villevert » est composée pour partie d’ouvrages exceptionnels consacrés au goût et au parfum. On y trouve notamment les éditions rares du livre « Liber de arte distillandi simplicia e composita » de Hieronymus Brunschwig (1509), « Le Parfumeur françois, qui enseigne toutes les manières de tirer les odeurs des fleurs, et à faire toutes sortes de composition de parfums », (édition de 1693), « Le Parfumeur royal ou l’Art de parfumer avec les fleurs et composer toutes sortes de parfums, tant pour l’odeur que pour le goût » (1699) de Simon Barbe, « Traité des odeurs » de M. Dejean (1777), « Recherches sur la découverte de l’essence de rose » de L. Langlès (1804) et « Le Parfumeur impérial » de C.F. Bertrand (1809). Cette collection sera prochainement accessible sur demande aux chercheurs et historiens.

 

Spirits Hunters : L’alcool employé vient du raisin… Qu’est-ce qui reste de cette origine dans G’Vine ?

Jean-Sébastien Robicquet : La suavité, la douceur. Lorsqu’on distille, on concentre, comme pour le parfum, la matière première. La distillation opère une concentration d’arôme jusqu’à un certain point, puis d’alcool… Même avec des alcools de betterave, canne à sucre, céréale ou vins montés à 85º, vous verrez que texture de la matière première est toujours là…

Voyez par exemple le côté farineux et sec des alcools de céréales ou de grain pur… Le raisin étant la plus noble, la plus parfumée, la plus élégante de toutes ces matières premières (la plus fragile aussi, il faut ‘savoir-faire’ si je puis dire), on a quelque chose de plus suave, de velouté et de très agréable au nez.

D’un point de vue organique, si on cherchait une analogie entre G’Vine et vin, ce serait un joli Graves blanc par exemple… Je suis né à Bordeaux, je ne suis pas vraiment fan de la minéralité, mais il y a d’excellents vins de Graves tout à la fois floraux et légèrement tendus qui pourraient correspondre à G’Vine.

 

Spirits Hunters : Quels sont les éléments qui reviennent quand vous essayez de créer un produit ?

Jean-Sébastien Robicquet : Probablement la volonté de créer des expériences uniques pour les consommateurs, avec des produits d’exception.

Techniquement je refuse catégoriquement le côté fort, que certains appelleraient brûlant. J’aime bien les choses rondes, souples. Ensuite, je veux une émotion. Lorsque vous marchez dans en ville ou en forêt et que vous sentez un parfum agréable, vous êtes transporté, c’est ce que je recherche.

Il faut aussi que ça puisse être identifiable dans l’univers concurrentiel où nous sommes aujourd’hui. C’est la difficulté même des parfumeurs, faire en sorte que leur signature olfactive soit reconnaissable. De même, j’attends d’un spiritueux qu’il soit singulier. Il faut qu’on puisse le différencier des autres.

C’est ce qu’on a fait aussi pour la vodka, quand on a créé Cîroc, elle aussi créée à base de raisin et distillée cinq fois. On a même ajouté dans Nouaison Gin de la prune et du vétiver infusé pour lui donner une nouvelle complexité. Il faut dire que Vétiver de Guerlain est mon parfum depuis 35 ans…

Enfin, nous faisons des essais de dégustation à faible degré pour identifier le territoire dans lequel on va évoluer. A l’époque j’allais gouter les gins du moment pour identifier leur signature olfactive et essayer d’en concevoir une nouvelle, proche mais différente tout en étant plaisante à mon nez.

Nous ne sommes pas dans l’art théorique, mais pragmatique : Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Qu’est-ce qui me plaît et ce qui ne me plaît pas ? Que puis-je conserver, structurer, améliorer, pour affirmer mon identité dans la profession ?

Pour ce faire il faut avoir un référentiel qui permette de mesurer ce qui se passe sur le marché, sortir, voyager, être curieux, ouvert à tout. On sait enfin dire aujourd’hui : ce parfum est vanillé, celui-ci boisé, ceci fatigue le goût, mais on pourrait peut-être réduire le musc, le floral.

L’important c’est le nez, c’est l’aspect primordial.

Et enfin, nous sommes dans l’univers des spiritueux qui présente une différence importante avec le parfum. Lorsqu’il est fini, le parfum est disponible, acheté et porté.

En ce qui nous concerne, souvent, notre produit se trouve, avant d’être consommé, entre les mains des mixologues. C’est eux aussi qui vont en faire une œuvre qui sera dégustée par les consommateurs. Pour eux donc, je souhaite que mon produit soit exceptionnel et différent.

Photo : Jean-Sébastien Robicquet, directeur et fondateur Maison Villevert – photo courtoisie Maison Villevert

 

Spirits Hunters : Donc vous êtes « un artiste contemporain sensible à l’air du temps » ?

Jean-Sébastien Robicquet : Je suis heureux que vous considériez les gens comme nous comme des artistes car, oui, il faut une fibre artistique pour chercher, être inspiré, créer et trouver le style, le parfum, le goût qui va plaire à tant de monde. On peut dire ça donc.

Tant que je ne tombe pas dans la folie de Jean-Baptiste Grenouille, ça ira… Et j’avoue que je suis très heureux chaque fois que les consommateurs dégustent nos produits avec autant de plaisir et de passion que je mets à les créer.

 


Maison Villevert

Société familiale à taille humaine, située dans le Sud-Ouest à Cognac, dépositaire d’un état d’esprit qui remonte à l’époque de la Renaissance, Maison Villevert et ses équipes, tels des artisans innovants sont guidés par deux sources d’inspiration – le raisin et l’art de vivre .

Sous la direction de Jean-Sébastien Robicquet ils œuvrent depuis 2001 à inventer, conditionner et construire des marques de spiritueux haut de gamme à vocation internationale.

« Depuis 2001, nous construisons chaque jour notre réputation de novateurs. Nous réinventons les spiritueux en les rendant meilleurs, plus aboutis et, surtout, ancrés dans leur époque. Cette approche nous offre un formidable espace de développement international fondé sur nos valeurs : le respect, l’excellence, l’entrepreneuriat engagé ainsi que sur l’énergie des équipes qui m’entourent », précise Jean-Sébastien Robicquet.

 

Découvrez davantage sur Jean-Sébastien Robicquet et la Maison Villevert.

 

 

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