sake

« Le service du saké chaud est un exercice des plus délicat »

Dans son recueil « La dernière goutte de saké », Etienne Barral y compile des histoires ou chroniques des us et coutumes au Japon. Un pays qui a toujours fasciné les occidentaux. L’extrait choisi nous plonge dans l’ambiance d’une soirée japonaise typique dans un bar: le personnage y découvre le cérémonial autour du saké, qui se déguste aussi chaud.

Lorsqu’il pénètre dans cette izakaya, mi-bar, mi-restaurant sans prétention, le salaryman est encore un employé, l’esprit farci de « norma », ces objectifs de vente à atteindre pour conserver l’estime de ses collègues et supérieurs.

Le sésame qui ouvre les portes de la « nominication » : un retentissant « otsukare-sama deshita ! » – « Fatigués mais satisfaits, on a fait du bon travail ensemble ».

La « nominication », c’est nomu (boire) et komyunikêshon (communication), un néologisme typiquement nippon forgé pour désigner cette forme particulière de relations conviviales autour d’un verre, le soir après le bureau. C’est un sas hors du temps (et plus les verres se vident, plus la notion du temps devient élastique), un moment privilégié où votre chef de section se révèle finalement moins bourru qu’il ne laisse paraître lorsque sa cravate est encore dans l’axe des boutons de sa chemise blanche et où la recrue fraîchement embauchée peut se risquer à dévoiler son penchant pour les groupes de rock « Visual-kei ».

Après la première bière, prestement vidée, les convives se concertent rapidement pour définir la suite des réjouissances. Shôchû (eau-de-vie originaire de Kyûshû, à base de riz, d’orge, de sarrasin ou de patate douce, tirant plus de 25% d’alcool) ? Awamori (alcool de riz provenant d’Okinawa, assez populaire chez les jeunes) ? Reishû (saké froid) ? Atsukan (saké chaud) ? Va pour un saké chaud, bien que le « bon » saké s’apprécie froid pour mieux percevoir son arôme. Le service du saké chaud est un exercice des plus délicat.

Lorsque le tokuri (la fiole en porcelaine ou en argile dans lequel est réchauffé le saké) arrive sur son plateau avec les o-choko (les petites coupes à saké), il faut un grand sens de l’abnégation pour saisir, entre le pouce et l’index, le rebord brûlant du tokuri (ainsi nommé parce que le son du saké versé dans une coupe fait « tokuri, tokuri ») et en verser le contenu à ses voisins.

Impossible de saisir à pleine paume le récipient encore très chaud, seuls les deux doigts sont mis à contribution, victimes expiatoires de ce rite sadique. Attention également à ne pas laisser maladroitement déborder la coupe sur les doigts de son propriétaire…

La tension se dissipe cependant au fur et à mesure que le saké est réparti parmi les convives. Au toucher, le récipient en terre perd alors de sa chaleur et devient d’un coup plus fréquentable. Mais c’est paradoxalement l’instant où il est le plus traitre : sans aucun repère visuel qui permettrait d’évaluer objectivement la situation, le tokuri expire sa dernière goutte de saké, souvent en plein milieu d’une coupe encore à moitié vide.

Pour remédier à cette situation embarrassante, une seule solution : « o-kawari ! » (Une autre !). Et c’est ainsi, de tokuri en tokuri, que se prolongent les soirées au Japon…

 

Ne buvez pas au volant. Consommez avec modération.

Rejoignez la Communauté SH sur Reddit

Spirits Hunters est une communauté dédiée aux spiritueux et au monde de la mixologie. N'hésitez pas à parler du monde de la mixologie et du métier du bartender ici !

Join