alcool au japon

Au Japon, l’alcool est bon pour la croissance… Du pays

Photo : Nate Kadlac 

Quand l’Agence nationale des impôts invite les jeunes à relancer la consommation d’alcool japonais auprès de leurs congénères, les médias occidentaux avalent de travers.

En quelques jours, la nouvelle a fait le tour des rédactions mondiales. L’agence nationale des impôts japonaise lance cet été un appel à candidature destinée à la « jeune génération pour développer et promouvoir des boissons alcoolisées japonaises ».

Le sang des journalistes n’a fait qu’un tour et c’est un tsunami d’articles mi-amusés, mi-choqués qui déferlent : ainsi France Info : Japon : le gouvernement incite les jeunes à boire davantage d’alcool, ou le Washington post : Japan has a message for its young adults : Drink more alcohol.

C’est vrai qu’il semble plutôt culotté pour le fisc nippon de demander aux jeunes de 20 à 39 ans de populariser l’alcool (avec modération) auprès de leurs congénères sous la forme « d’articles publicitaires, de nouveaux produits, design ou concepts de vente » sans oublier d’utiliser « l’intelligence artificielle ou le Metaverse ».

À la clé : la réalisation des projets des finalistes couronnée par un grand gala à Tokyo le 10 novembre, et c’est le gouvernement qui régale !

Source : sakebiba.jp

 

Une consommation en berne qui déprime le fisc

Alors oui économiquement, la situation est grave. Le Courrier International précise qu’en 2020, les revenus de l’État japonais provenant de la vente de boissons alcoolisées ont enregistré une baisse de 100 milliards de yens (800 millions d’euros), la plus forte baisse depuis 31 ans, renchérit Japan Times.

L’alcool est taxé depuis très longtemps au Japon. Ainsi durant l’Ère Meiji [1868-1912] le saké représentait plus de 30 % des recettes fiscales, revenu à l’époque quasiment aussi important que la taxe d’habitation. En 1980 c’était encore 5% et en 2020… 1,7 % !

On l’a compris, l’État cherche de l’argent mais derrière ce qui apparaît à nos yeux comme une maladresse, il faut chercher les causes de ce malaise mais aussi les raisons qui font que ce type d’événements ne soulève pas de tollé au Japon.

D’abord cette baisse de consommation est à replacer dans son contexte sanitaire et démographique. Le déclin de la population japonaise s’accélère avec une diminution de 644 000 personnes en un an, soit la baisse la plus importante depuis 1950 !

Le Covid a agi comme un catalyseur également : « Alors que le travail à domicile a progressé pendant la crise du Covid 19, de nombreuses personnes en sont venues à se demander si elles devaient continuer à prendre l’habitude de boire avec leurs collègues pour approfondir la communication ».

Cette citation d’un responsable de l’agence nationale des impôts à Japan Times mérite qu’on s’y arrête.

Évidemment durant le Covid les habitudes de consommation d’alcool ont profondément changé, passant des bars et restaurants au domicile. Or le Japon est la première nation consommatrice au monde de boissons alcoolisées hors foyer et ceci est lié à un rapport social à l’alcool très particulier car codifié et ancré dans la tradition séculaire.

Photo : masahiro miyagi Des gens se rencontrent après le travail

 

Alcool et Japon : une culture à part incarnée par des rituels hautement codifiés

Au Japon on distingue deux « niveaux de communication » : Le honne (本音), littéralement « vrai sentiment » et le tatemae (立前) : l’attitude sociale et l’alcool sont un moyen de laisser son honne s’exprimer. C’est ainsi que sont nés les concepts de nomikai (nomu « boire » et kai « se rencontrer » ou sa version moderne nominication (nominikēshon – 飲 み ニ ケ ー シ ョ ン) nomu et communication.

On se retrouve ainsi dans des lieux publics pour échanger en buvant des verres. Professionnellement cette tradition est apparue au Japon durant l’époque de Muromachi (1336 – 1392) : période où les Japonais aisés se retrouvaient autour d’un banquet pour exprimer leurs remerciements. On appelait alors ces réunions nōkai (納会).

Aujourd’hui les salarymen* se retrouvent après le travail pour décompresser mais aussi demander à leur chef une augmentation.

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*Salaryman (サラリーマン, sararīman?) est le terme par lequel les Japonais désignent les cadres non dirigeants d’une entreprise ou les employés (à l’opposé des ouvriers). Ce mot, pourtant à consonance anglaise, est un néologisme issu de la langue japonaise (wasei-eigo).

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Deux exemples pour bien comprendre cette codification : lors d’un nomikai, on ne se sert pas personnellement, c’est toujours quelqu’un d’autre qui vous sert, et de plus il est malvenu de refuser… Ensuite certains établissements proposent la formule nomihôdai (autour de 2000 y/ 14 €) qui permet pendant environ 1h30 de consommer de l’alcool à volonté !

Il ressort de ces pratiques une forme de tolérance pour des comportements excessifs liés à cet alcoolisme « passif ». Cependant, il faut souligner que l’ivresse entraîne peu d’incivilités au Japon et qu’entre boire ou conduire, les Japonais ont choisi : 0,3% des accidents mortels sont liés à l’alcool contre 31 % en France…

L’alcool aide donc à être soi-même auprès des autres et il constitue également un élément important de la carrière professionnelle. Ainsi il n’est pas rare de voir les Japonais citer l’alcool comme un hobby ou même l’inscrire dans leur CV !

Photo : Bundo Kim Boueilles de saké

Il faut ajouter que la publicité pour l’alcool est omniprésente au Japon, grâce à une législation plus permissive qu’en France.

Or aujourd’hui ce type de comportement est en perte importante de vitesse et le covid est en train de remettre en cause le sacro-saint nomikai chez les jeunes qui ont trouvé ainsi une bonne raison de déroger à ces codes ancestraux qui pour partie ne leur correspondent plus.

D’ailleurs ce n’est pas la première tentative du gouvernement japonais pour relancer la consommation d’alcool. Ce printemps même, une opération professionnelle nommée « Enjoysake ! » promouvait l’organisation d’événements pour stimuler la consommation de boissons alcoolisées.

Si la démarche du gouvernement est discutable sur le plan éthique, on peut comprendre la mention du Metaverse dans l’énoncé de l’appel à Projets puisqu’il s’agit in fine pour les jeunes de retrouver une forme de vie sociale chez eux. Encore faudrait-il pour le fisc trouver un moyen de ne pas les faire boire virtuellement, ou alors de taxer les alcools virtuels !

 

 

A propos de Julien Thivin

Concepteur-rédacteur, auteur, collectionneur éclectique. Amateur de Chartreuse, de Pimm’s et de yadong.

Ne buvez pas au volant. Consommez avec modération.

 

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